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Jean Cocteau
Poèmes à Jean Marais

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Ton Jean
Je te donne un livre
Tu me donnes tout!
Tu m'apprends à vivre
Vivre tout d'un coup
 
À tes moindres signes
Je lis mon destin
Que peuvent ces lignes
Trouvées le matin?
 
Pardonne, pardonne
Cet amour écrit,
Lorsque tu me donnes
Ta bouche et ton cri.
 
Je n'ai qu'une excuse
D'écrire ces vers...
Ils sont une ruse :
J'écris à l'envers.
 
Lis-les dans ta glace
Et sois indulgent
Car un autre Jean
Se montre à ma place.
 
Celui qui serait
Digne de ton rêve
Comme ces portraits
Où ta main m'achève
 
Et je finirai
Par être cet ange
Par me retirer
Pour être enfin celui dans lequel tu me changes.
 
 
Le mauvais tapis volant
Ma sottise est sans limite
C'est la sottise du marbre
La sottise de l'arbre
C'est la nature qu'elle imite.
 
Il ne faut pas trop m'en vouloir
Ni me trouver trop ridicule
Car je marche endormi le long de ce couloir
Où ceux qui veillent reculent.
 
Dans le sommeil reste tapi
Comme un trésor dans sa cachette
Pour savoir mieux voler attendons que j'achète
Bientôt un mieux volant tapis
 
Mais nul ne peut t'aimer qu'il veille ou bien qu'il dorme
Plus que ce poète-oiseleur
Qui n'était que fantôme et n'a pris une forme
Que par ta forme et ta couleur.
 
 
Ma. Nuit
Quelquefois je m'endors. Soudain je me réveille
Le mur s'ouvre sur la merveille
De mon bel enfant endormi.
Je pense : on ne dort pas. On rêve à son ami
On lui glisse des vers sous la porte mal close
II dort... Il dort nu sur sa grande main rose
II dort : où le sommeil enlève-t-il ses pas ?
 
Il dort et c'est divin que je ne dorme pas
Que je m'échappe à ce monde astucieux du rêve
Et je sors une jambe et l'autre, je me lève
Je marche vers la table où je chante debout
Mon enfant endormi circule Dieu sait où
C'est à moi de veiller, d'être la sentinelle
Du bonheur que la vie accepte au milieu d'elle
 
Maligne à faire l'ombre et le froid sur l'amour
A se moquer de lui, prête à jouer des tours
Atroces, à brouiller les flèches et les cibles
A susciter les jeux des âmes insensibles
À... Mais que dis-je ? Assez. Mon enfant m'aime. Il dort.
 
Et je garde en avare un sublime trésor
Dont je saurai verser l'intérêt à la foule
Et de mon cœur ouvert le sang d'encre s'écoule
Dors mon fils, mon amant, mon peintre, mon acteur
Je suis ton seul poète et ton seul spectateur
Dors. Il est doux Jeannot de veiller de la sorte
Et de laisser mon sang s'allonger sous ta porte.
 
 
Carte postale souvenir
L'alcyon où la neige dort
Où ? Cherchez vous-même. Le sais-je ?
Nous irons dormir sous la neige
À l'auberge du Chamois d'or.
 
Le soleil sur les hautes cimes
Veloutait les neiges cruelles
C'est ainsi que nous réussîmes
À voler sans acheter d'ailes.
 
Ainsi nous nous envolâmes
Ainsi que le froid endormait
Les enveloppes de nos âmes
Jusqu'au crocus du mois de mai.
 
C'est ainsi que l'alcyon vole
C'est ainsi que la neige fond
C'est ainsi, c'est ainsi que font
Les plumages de ma parole.
 
 


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